Le Myanmar est un pays qui a été coupé du monde extérieur par l'arrivée au pouvoir de Ne Win, qui instaure en 1962 un régime militaire, entre autarcie socialiste et isolationnisme. La junte militaire met fin à tout processus démocratique à l'issue des protestations de 1988 et Aung San Suu Kyi devient le symbole de la dissidence birmane. Le fait qu'elle remporte les élections législative en 1990 ne change pas grand chose puisque les militaires refusent de reconnaître les résultats des élections et d'abandonner le pouvoir, jusqu'aux élections de 2015 où Aung San Suu Kyi devient "secrétaire d'état", mais toujours sous contrôle des militaires. La réunification du Myanmar a mis en place 7 subdivisions de "l'état birman", qui est situé au centre du pays et 7 "States" (on pourrait dire Provinces ?) qui correspondent aux ethnies dominantes en Birmanie : Les Shans, les Karen, les Chins, les Mons, les Kayas, les Kachin et bien sur l'Arrakan, le Rakhine State, au devant de l'info avec la terrible repression des Rohingyas.

De tous temps, le Myanmar a été le lieu de migrations et d'exodes, amplifiés par les repressions tenaces de la junte militaire contre les rebellions des ethnies qui ont toujours tenté de préserver leurs richesses naturelles et de fuir l'oppression d'une centralisation. Than Kyaw Htay, artiste peintre né au Rakhine State, est touché lui aussi par les phénomènes migratoires, dans leurs diverses significations. 

Il a lui-même, comme beaucoup d'autres, quitté son état d'origine, pour aller à Yangon, capitale culturelle, économique et intellectuelle, pour suivre ses études aux Beaux Arts de Yangon et ses formations auprès de grands maîtres de la peinture birmane. Sa famille a été bouleversée par l'exil de son père et les exactions des militaires dans le Rakhine State contre les Rohingyas. Petit enfant bouddhiste, il a partagé ses jeux avec de jeunes mulsumans avant de les voir être cantonnés dans des camps, pendant que les mosquées étaient brûlées, puis rejetés hors des frontières.

Il n'avait pas le droit d'évoquer ce sujet éminemment tabou au Myanmar, d'une part à cause des répressions militaires, mais aussi à cause d'un idée généralement et majoritairement répandues chez les "birmans" (...voir les 7 divisions...) que les musulmans étaient une menace pour la sécurité de l'état, puisque ils s'attaquaient aux militaires au travers d'échauffourées et qu'ils remettaient en cause l'ordre public.

Mais le sujet lui tenait à coeur, et il a donc commencé par peindre des scènes de la vie de Mrauk U, ancienne splendide capitale à l'abandon, aux temples et pagodes magnifiques et tombées dans l'oubli. Tout de suite, il a montré le mouvement des personnes qui se déplaçaient pour aller chercher de l'eau aux puits environnants. Des femmes et des enfants portant des jarres en zinc, sur fond de ces temples abandonnées dont les silhouettes se diluent dans la peinture, signe leur désuétude. Le résultat est séduisant, les peintures très belles, mais le message n'a pas la force de la situation.

De cette série "silent sweat", Than Kyaw Htay passe à la série "silent walks" qui montre les migrations des populations sur le fond de la carte géographique de chacun des états et des divisions du Myanmar. Pour accompagner ces peintures (format 92 cm x 122 cm), l'artiste a peint des cartels qui représentent pour chaque état le fond de la carte ainsi qu'un lieu iconique.

Ainsi, pour le Shan state, on peut reconnaître le Lac Inle et ses fameux pêcheurs qui rament d'une jambe pendant que leurs deux mains sont occupées. Cet état est très marqué par les guerres civiles qui qui ont dépouillés sa population, forçant nombre d'entre eux à fuir vers la Thaïlande et la Chine voisines, ainsi que vers le Laos. Il en va de même pour les 6 autres états, qui tous ont connu ou connaisse encore la guerre civile qui incite les habitants à fuir vers les pays frontaliers pour y trouver du travail et la paix.